Flash Gordon et ses inspirations culturelles

Au-delà des influences littéraires spécialisées, on découvre aisément dans Flash Gordon les reflets d’un bon nombre de mythes contemporains.


Flash Gordon - Chiung - Ming
L'amiral Chiung (1936)
Le cinéma, pour commencer, avant la guerre, fit entrer dans la légende plusieurs corps de troupe, dont on retrouve des traces dans les uniformes de Mongo. D’abord, la Légion Etrangère, corps illustre s’il en fut, qui jouit d’un immense prestige chez les Américains, à un point tel qu’on le retrouve dans les uniformes de certaines boîtes de nuit, aussi bien que dans un certain nombre de bandes dessinées où son intervention vient donner un panache final a une aventure mouvementée, comme c’est le cas dans un des premiers épisodes de la bande déssiné "Raoul et Gaston", où ce corps d’élite intervient pour mettre un terme au règne néfaste du roi de la jungle. Chez Alex Raymond, elle se retrouve dans la terrible Légion du Désert de Ming, vêtue de longues capotes blanches et de couvre-nuques immaculés qui rappellent le plus beau temps des conquêtes coloniales et coiffée d’un hybride de képi et de turban. Il n’est pas difficile de découvrir aussi le souvenir des trois Lanciers du Bengale, ici et là dans Flash Gordon.

Yan Solo - Star Wars
Flash Gordon et Bulok (1937)
Enfin, à partir de son premier séjour chez Barin, Flash porte un pantalon collant bleu sombre à bande jaune, qui n’est autre que celui d’un autre corps légendaire, la Cavalerie de l’Union (on pense aussi a celui de Yan Solo dans Star Wars). Au contraire, dans les débuts baroques de l’histoire, les casques et cuirasses romains ou nordiques rappelaient les légions et les Vikings (sans oublier les opéras wagnériens).

Plus important est l’orientalisme qui accompagne à peu près nécessairement toute les aventures depuis les années vingt. Cet orientalisme se manifeste d’abord dans la race dominante de Mongo: une race asiatique dont le nom évoque irrésistiblement la Mongolie terrestre; il se révèle plus encore dans certains types ethniques, surtout dans le peuple où l’on rencontre l’homologue du paysan chinois maigre et barbichu (le paysan qui arrête puis reçoit Aura, Dale et Zarkov), ou le gros poussah répugnant et gras (le cuisinier qui laisse entrer les paysans au palais, par exemple), et l’on aboutit enfin au souverain lui-même qui, avec sa tête allongée et sa pilosité filiforme illustrerait fort bien le personnage de Fu-Manchu.

Et que dire des costumes et des décors, que de dragons, que de broderies siniformes, sans parler de la coiffure en abat-jour des paysans; ajouton les noms eux-mêmes: Ming, nom générique d’une dynastie chinoise qui régna du XIV au XVII siècle, Hong, le seigneur des donjons, le capitaine Chiung, le général Minchu, etc., et terminons par le faste et la cruauté et la corruption de cette société avide d’or: tout évoque l’Extrême-Orient traditionnel, Extrême-Orient omniprésent comme il l’a été chez tous les auteurs de romans d’aventures, de Sax Rohmer (Fu-Manchu) à Earl Derr Biggers (Charlie Chan) ou de bandes dessinées: Tarzan et les Chinois, de Hogarth,Terry et les Pirates de Caniff ou Barry au quartier chinois de Will Gould.
Mongo
Flash Gordon (1937)


Orientalisme encore dans les mœurs et en particulier avec la polygamie pratiquée par Vultan. le roi des hommes-vautours, qui entretient un harem nombreux et charmant, pratiquée aussi par les sujets de Ming, car dans la version américaine originale. lorsque le gouverneur des prisons, Hong, fait comparaître Dale Arden et lui propose la liberté en échange de sa main, il lui demande de devenir "one of my wives" (une de mes femmes); c’est certes l'a un élément peu développé dans l’œuvre car il est sporadique et il coexiste avec une monogamie évidente. mais il n’en reste pas moins qu’il existe. Citons pour en terminer le dieu Tao, au nom bien chinois et au faciès grimaçant d‘idole tibétaine.

Avant de quitter les éléments contemporains. il faut remarquer la récurrence d’un certain dénouement: les efforts de Ming, calculés, préparés, sont toujours déjoués par une brillante improvisation de ses adversaires. Nul doute qu’il y ait là le reflet d‘une profonde conviction de l’optimisme américain, certain que les agressions préméditées des méchants ne peuvent rien contre l’initiative des hommes libres. Cette conviction a régné aux U.S.A. jusque après 1945.

Flash Gordon - Dale - Zarkov
Dale, Flash et Zarkov (1938)
Avec le type du héros, on atteint des éléments beaucoup plus anciens, mais relevant encore de l’influence consciente. recherchée. Flash est conforme au type du héros libérateur: ce type existe certainement depuis que des hommes ont dû se plier à une autorité tyrannique contre laquelle ils n’osaient ou ne pouvaient se révolter, c’est dire qu'il est vieux comme le monde et Robin des Bois en est l'exemple les plus connus, mais ici ce thème prend un aspect particulier, à cause de l’époque.

Flash Gordon est-il ce qu’on peut appeler aisément un héros au cœur pur, beau type humain aux hautes vertus morales, luttant en solitaire contre la tyrannie; mais il n’est pas que cela, il est aussi un Américain typique, voulant à tout prix faire apprécier aux autres, voire imposer, un mode de vie politique dont il est convaincu qu’il est le meilleur, surtout en face des oppressions; on pourrait dire de lui qu’il est à la fois Prince Vaillant et Wilson, il est chevaleresque et démocrate, ll existe une lignée anglo-saxonne de ce type de héros libérateur. Un roman anglais du XVIII siècle présente de curieuses ressemblances avec Flash Gordon : "The Life and Adventures of Peter Wilkins" de Robert Paltock (1750). Naufragé sur une île déserte, Willins pénètre dans un monde souterrain peuplé d’hommes-volants. Devenu le gendre du roi, il le sauve d’un complot de cour, soumet les méchants, libère les esclaves, conquiert une province d’un royaume ennemi et y établit de nouvelles lois, approuvées par le peuple...

Flash Gordon - Barin
Flash Gordon et Barin (1938)
Plus loin que Peter Wilkins, un modèle déclaré, Robin Hood, Robin des Bois, bien vivant dans la tradition anglo-saxonne, représenté ici, d’assez loin mais avec insistance par le roi Barin et ses sujets, roi libéral, rebelle à l’occasion, dont les soldats vêtus de vert, plume au calot, maniant avec adresse l’arc et l’épée, nous ramènent quelques siècles en arrière dans la forêt de Sherwood; ni les ascenseurs, ni les autoroutes suspendues, ni les monstres ne nous dépaysent beaucoup, nous sommes là en plein mythe médiéval, mythe qui se prolonge encore dans les titres nobiliaires, et dans la mode vestimentaire. Nous sentons réapparaître la nostalgie du Moyen Age que Hal Foster devait magitralement concrétiser avec Prince Vaillant. En revanche, Raymond avait moins de modèles pour peindre les rebelles.

Cette notion nous est devenue familière, mais dans les années trente, il fallait, pour trouver les thèmes essentiels, remonter aux chrétiens des catacombes et ce mythe des rebelles s’associait au thème des souterrains et des égouts dont "Les Misérables" de Victor Hugo constituent l’illustration mondialement connue. Sans remonter à ces réminiscences historiques et littéraires plus ou moins lointaines, il est probable qu’Alex Raymond, en bon Américain, avait en tête le souvenir des Sinn-feiners irlandais dont la tradition est bien connue et fort vivace aux États-Unis.

monstres - Dale
Flash Gordon (1933)
Plus loin encore, Flash a des modèles mythiques. C'est un libérateur, mais c’est aussi un dompteur de monstres, comme Héraklès, Thésée, Persée ou Bellérophon. Le rapprochement n’est pas exagéré, car Raymond l’a voulu. Il a régulièrement inséré dans son récit une série de combats, tous très soignés, tous remarquables, contre une étonnante collection de monstres terrestres, marins ou aériens, affrontés à l’épée, à la hache, au pistolet ou à mains nues. En les regroupant en série, on obtient un équivalent des travaux d’Hercule. L’héroïsation du geste, certaines attitudes montrent bien que Raymond savait ce qu'il faisait : par exemple, il donne à Flash étouffant un fauve la posture traditionnelle d’Héraklès étouffant le lion de Némée (peintures de vases grecs. etc.).

texte de Pierre Couperie et Edouard François